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Un jour quelconque, dans une usine quelque part dans une belle région française. Nous sommes en immersion terrain, afin de comprendre comment fonctionne (ou dysfonctionne….) l’atelier dans lequel nous pourrions intervenir.
Sébastien, responsable de l’atelier, m’accompagne lors de cette tournée terrain. Nous passons de machines en machines, en suivant le flux, et je pose mes questions au fur et à mesure. Nous en venons à parler du sujet des enregistrements qualité, dont il est particulièrement fier car les documents ont été non pas élaborés dans leur coin par le service qualité (1), mais conçus en commun avec des conducteurs de lignes, et validés sur le terrain. Émoustillé par ces bonnes pratiques, je décide d’aller constater au plus près du terrain les faits réels.
Nous abordons René, conducteur de ligne de son état, et je lui demande de me présenter ces fameux enregistrements qualité. René, tout en me jetant un regard soupçonneux, s’exécute et me décrit les documents, en essayant de m’en raconter le moins possible, il a l’habitude des audits. Je décide de creuser un peu plus, repère une mesure de température sur un circuit de refroidissement qui doit être faite à chaque démarrage de lot, et qui doit se situer entre 3°C et 5°C, constate que sur la feuille il est marqué 4°C, et demande à René s’il veut bien me montrer comment il fait cette mesure.
René commence à être mal à l’aise. Manifestement, la Déesse du Conseil est avec moi, j’ai tapé juste. Il m’explique qu’il lit la valeur sur un appareil de mesure, dans les armoires de contrôle à l’étage, pensant sans doute que la perspective de monter un escalier devrait me dissuader de pousser plus loin mes investigations. Peine perdue, je lui demande de me montrer, et nous constatons que la vitre de l’appareil de mesure en question est tellement dégradée qu’elle est devenue opaque, impossible de lire quoi que ce soit. René a beau nous expliquer que oui, non, en fait de toute façon si la valeur était hors tolérance il le verrait sur le fonctionnement de la machine, force est de constater que le contrôle demandé n’est pas fait…
Pour éviter que les foudres managériales ne s’abattent sur le pauvre René, j’entraîne rapidement Sébastien à l’écart, pendant qu’il marmonne des imprécations tournant autour de la conscience professionnelle, du respect des règles et de sévices corporels à prévoir. Il ne comprend pas pourquoi, après avoir élaboré ces documents avec un travail collaboratif aussi poussé, il peut encore y avoir des écarts de ce type.
Je rassure Sébastien, malheureusement, rien d’inattendu. C’est un cas typique de système victime du deuxième principe de la thermodynamique, et notamment de l’entropie.
Qu’est ce que l’entropie ? Pour faire simple, c’est une grandeur qui caractérise le désordre d’un système. Et le deuxième principe de la thermodynamique nous dit qu’un système que l’on laisse évoluer va voir son entropie augmenter (2), sauf si on lui apporte de l’énergie depuis l’extérieur.
Quel rapport avec René ? En l’occurrence, quel que soit le soin qui a été apporté à la co-conception du document, l’accompagnement et la formation des conducteurs lors de la mise en œuvre du document d’enregistrement, si on ne fait rien de plus et qu’on laisse vivre le document dans l’atelier, inévitablement la réalité des pratiques va s’écarter de ce qui est décrit dans la procédure. Pour que la réalité colle avec ce que vous voudriez qu’elle soit, il faut apporter de l’énergie. Et dans le système dont nous parlons, c’est de l’énergie managériale qu’il faut apporter : depuis que la procédure a été mise en place, quelle énergie Sébastien a-t-il consacré à vérifier que René avait bien compris la façon de faire le contrôle, avait bien compris les risques si jamais la valeur était hors tolérance, à faire le contrôle avec lui pour vérifier que le contrôle était réalisable, à lui poser la question des difficultés éventuelles qu’il avait rencontrées, etc. ?
La morale de cette histoire, c’est que lorsque vous décidez de mettre en place un contrôle, d’écrire une procédure, d’imposer un enregistrement, vous prenez de fait la responsabilité d’y consacrer durablement de l’énergie managériale…
Pensez-y.
Choisissez bien.
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(1) Ce qui peut arriver dans de rares situations
(2) C’est vrai, je simplifie. Mais vous ne trouvez pas que c’est déjà assez compliqué comme ça ?
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